Une saison en Obamérique 2

Publié le par Franck Cellier

3 juillet 2008

Obama mon pote


   Saint Elmo, Illinois. Avec des silos à maïs pour unique montagne et l'Interstate 70 qui se noie tout droit dans un champ océan, la traversée de l'Indiana, puis de l'Illinois, ressemble à une douce chanson, un lancinant air de folk. Le paysage s'est figé il y a plusieurs siècles, et rien n'a bougé. Pas même les nuages et leurs menaces d'orage. Les gens aussi donnent cette impression d'une Amérique presque immobile, saisissant contraste avec les mégapoles en bataille des écrans de cinéma.

   Et pourtant, elle bouge. La terre a bougé, peut-être pas beaucoup, peut-être juste un peu sur l'échelle de Richter, qui fut d'ailleurs le fils d'un paysan du coin, dans l'Ohio. Mais elle a bougé sous les pas de cet incroyable gouailleur chaussé de bottes de sept lieues, je veux parler d'Obama. Il est même étonnant que j'aie attendu d'avoir roulé 200 miles pour évoquer la star de l'année. Parce qu'aujourd'hui, en Amérique, quand deux personnes commencent à discuter, elles se disent d'abord "Quoi de neuf"? Et leur deuxième phrase aborde inévitablement la dernière sortie de Barack Obama.

   Le vieux Mc Cain sait bien que le point faible de son adversaire démocrate tient dans son effrayante originalité : sa couleur de peau, son âge, son discours. Alors, pour le dénigrer, il le compare à une starlette américaine écervelée. On verra bien en novembre si le réflexe du mouton affolé jouera en faveur du républicain, tant handicapé par l'inédite impopularité de George W. Bush.

   Mais ce que l'on sait déjà, c'est que Barack Obama a soulevé un courant de vocations aussi débordant que l'a été le Mississipi au printemps. Du jamais vu. De toute son histoire, l'Indiana ne s'était autant mobilisé pour une élection primaire que cette année. La calme plaine républicaine s'est agitée comme jamais pour choisir qui, d'Hillary Clinton ou de Barack Obama, devait porter les couleurs démocrates pour l'élection présidentielle. Hillary l'a emporté dans les campagnes mais a subi une raclée dans les villes. Et les journaux du coin se demandent si l'Indiana peut basculer dans le camp démocrate pour la première fois depuis un demi-siècle.

   Le jour de la primaire, le 6 mai, des groupes de jeunes, souvent des Noirs, arrêtaient les voitures aux carrefours des grandes rues, interpellaient les passants à la sortie des centres commerciaux et les pressaient d'aller voter pour leur idole. " Ces jeunes-là, jamais je n'avais réussi à les faire sortir de leurs quartiers, je me demande comment je vais faire pour maintenir un tel engouement l'année prochaine ", s'interrogeait une élue municipale démocrate pourtant aguerrie à la confrontation électorale. Obama a un tel bagout qu'il se croit capable d'aller dans le repaire d'une bande de skinheads excités et de les retourner en sa faveur, selon l'un de ses proches. Il séduit quasiment tout le monde à part les grandes compagnies financières dont il dit refuser le soutien pour ne jamais avoir à céder sous leur pression.

   Il faut le voir discuter d'égalité des chances avec un écolier, compatir avec une jeune fille qui dépense toute sa maigre paie en médicaments pour sa mère, soutenir un ouvrier en colère pour comprendre qu'il pourrait en apprendre à bien des acteurs d'Hollywood sur l'art et la manière de tirer des larmes d'émotion. L'autre jour, peu avant la primaire de l'Indiana, il a donné un show du tonnerre avec Stevie Wonder. C'était Woodstock, il pleuvait et les gens restaient à boire ses mots. Sous la pression, un pauvre monsieur s'est senti mal. Ni une, ni deux, Barack lui a envoyé sa petite bouteille d'eau comme dans un match de basket, la passe parfaite ; de celles qu'on se repasse au ralenti pour illustrer le point victorieux.

   Bien sûr, son programme est solide, ses soutiens puissants. Il a convaincu à l'intérieur comme à l'extérieur que l'Amérique, durement touchée par la récession économique, avait besoin de réformer profondément son fonctionnement. On le compare à Roosevelt ou JFK, c'est dire. Mais Barack Obama, s'il l'emporte, devra sa victoire à son incroyable proximité avec l'électeur. Il est le pote de tout le monde. Même de moi qui ne voterai jamais en Amérique. Il m'écrit deux ou trois fois par mois. Parfaitement, ce n'est pas de la forfanterie. Et les jours où il ne m'écrit pas, l'un de ses principaux conseillers de campagne s'en charge. Il est vrai qu'à l'origine de cet échange, à sens unique, abondant, j'ai un jour visité le site du candidat. Et il a profité de cette prise de contact pour m'abreuver quotidiennement de ses nouvelles. Il ne laisse rien au hasard et, à chaque fois, il essaie de me taper 100 balles pour financer sa campagne. Un vrai pote, décidément.

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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