5 juillet 2008

Américains et fiers de l'être




   Shawnee, Kansas. Hier soir, c'était la fête nationale. Après être passés du Missouri au Kansas et nous être un peu perdus dans les environs de Topeka à la recherche d'une improbable réserve indienne appelée Potawatomi sur la carte routière, nous avions échoué sur les rives du lac du parc Shawnee, un endroit plutôt sauvage où quelques familles avaient planté leurs tentes pour la nuit. Un coin qui semblait exclusivement dédié à la pêche, éventuellement à la consommation de quelques boissons houblonnières et de brochettes de chamallows grillés.
   C'était ignorer que depuis quelques jours les stands de ventes de feux d'artifice, forcément en promotion, avaient poussé comme des champignons entre les panneaux publicitaires. L'Amérique entière décide ce soir-là d'éblouir, jusqu'à aveugler, tout individu, astronaute ou extra-terrestre, qui se hasarderait à contempler un clair de terre. Quand le caractère fêtard de l'Américain se combine à son sentiment patriotique et à son penchant naturel pour la compétition, le mélange ne peut qu'être détonant.
    La nuit tombée, la plaine du Kansas s'est donc embrasée et des centaines de dollars ont explosé au-dessus des têtes, chacun tentant de péter plus haut, plus lumineux et plus coloré que son voisin. Le patriotisme, mon oncle, ne se décrète pas, il s'arbore. On ne peut pas être américain sans être fier de l'être. Pas seulement le 4 juillet mais tous les jours de l'année.
   " Notre pays montre le chemin de la démocratie et de la liberté au reste du monde. C'est le premier pays à offrir à chacun de ses citoyens les mêmes chances de réussite ", m'a assuré une conseillère pour demandeurs d'emplois. De par son travail, elle doit pourtant voir passer pas mal de ses concitoyens qui n'ont pas su tirer profit de cette fameuse égalité des chances et se retrouvent cassés, délogés et apeurés à l'idée de tomber malades car il leur serait alors impossible de payer les médicaments.
    La misère de ces gens-là n'entame pas la certitude de la grandeur américaine. Les candidats à l'élection se doivent d'être extrêmement prudents lorsqu'ils critiquent le gouvernement. Il leur faut, tels des funambules, préserver un subtil équilibre entre les aspirations au changement et la détermination à protéger le modèle américain. Les gardiens de la bannière étoilée veillent au grain.
   Lorsque, emportée par son enthousiasme, l'épouse de Barack Obama a osé déclarer lors d'un meeting qu'elle était "pour la première fois fière de son pays", la riposte a été immédiate et Michelle Obama a dû rectifier son propos. De même l'un des coups les plus durs qu'a eus à encaisser le leader démocrate est venu de l'exploitation démesurée qui a été faite des sermons, datés de 2003, de son ancien pasteur, le révérend Wright. Celui-ci avait lancé alors "que Dieu maudisse l'Amérique car elle traite certains de ses citoyens comme des sous-hommes". Ce n'était qu'une phrase, dans un pays fier d'avoir inventé la liberté d'expression, mais Barack Obama s'est vu obligé de changer d'église
   Quand les politiciens français se croient audacieux de proposer la levée du drapeau tricolore devant tous les foyers, les Américains le font sans que quiconque n'ait à le leur demander. Comme pour le feu d'artifice, c'est à qui dressera le plus grand et le plus éclatant des drapeaux. Les immenses concessions automobiles à la sortie des villes se révèlent les plus appliquées en la matière comme si une voiture ne pouvait être achetable ailleurs qu'à l'ombre d'un gigantesque étendard.
   La première fois ça étonne quand, à l'occasion d'un spectacle ou d'un match de sport, toute la tribune se lève devant le pavillon. La main sur le coeur, chacun récite son serment d'allégeance au drapeau: "blablabla... and justice for all". Il n'est pas question dans ces moments-là de rester assis et mieux vaut bouger les lèvres pour ne pas éveiller l'attention. Ne cherchez pas comment ils font pour atteindre un tel niveau de perfection patriotique. Ce serment, ils l'ont récité tous les matins à l'école. Et c'est plutôt un bon moyen pour apprendre la langue, c'est en tout cas ce que mes enfants ont le plus vite retenu.
   Reconnaissons d'ailleurs que le patriotisme américain n'est pas aussi connoté de nationalisme que les patriotismes européens. Le drapeau demeure un signe de ralliement plus que d'exclusion. Une façon de dire:  "Venez partager nos valeurs et notre fierté d'être américains". Même s'ils érigent un mur entre eux et le Mexique, les Etats-Unis veulent encore être considérés comme le plus bel endroit de la terre.



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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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