6 juillet 2008

La vie ou le choix


   Cedar Bluff State Park, Kansas. A l'instar des frontières séparant les états américains les uns des autres, l'interstate 70 est une ligne droite tracée sur la carte routière. Surtout ne pas toucher le volant au risque de provoquer un accident. Et le type qui attend au virage a intérêt à être patient. La terre n'a d'autre usage ici que de supporter le ciel. Magnifique écran panoramique où de tendres nuages réinventent sans cesse la palette de couleurs qu'ils délaient à l'infini. Le passager d'en bas lève les yeux. Par génie, par ennui ou par fatigue, bien souvent, il voit Dieu.

   Dieu le regarde lui aussi. Ce n'est pas si souvent qu'un petit humain traverse ses pâturages. Alors Dieu l'inspire, Il lui dit: " Marche sur la plaine, dresse une clôture et élève un troupeau ". L'homme devient alors paysan et nourrit une bonne partie de l'Amérique. Dieu a dit aussi de puiser le pétrole du sous-sol pour faire rouler les voitures et voler les avions. Et les pompes pétrolières ont surgi. Il a dit encore de planter des éoliennes et des milliers d'hélices sont sorties de terre.

   A bien y réfléchir, je ne suis pas sûr que ce soit Lui qui ait dit d'installer tous les panneaux au bord de la route pour vanter de prestigieuses attractions comme la ville du chien de prairie, des supermarchés pour adultes, des nuits au motel à trente dollars ou la non négociable valeur de la Vie. La région est franchement religieuse, peut-être encore plus qu'ailleurs. Les puissants chevaliers de Columbus règnent sur les lieux.

   Des mains partisanes ont écrit: " Elle est un enfant, pas un choix" , " L'adoption, pas l'avortement ", " L'avortement tue ce que Dieu a créé ", " Choisir la vie, quel beau choix ", " Le prix d'un avortement: une vie humaine ", et caetera, et caetera. La fracture entre les " pro-choix " et les " pro-vie " demeure profonde et ces derniers sont suffisamment nombreux pour que le candidat Mc Cain ait annoncé sa volonté d'annuler l'arrêt Roe contre Wade de la cour suprême des Etats-Unis qui a légalisé l'interruption volontaire de grossesse en 1973.

   Barack Obama n'a pas avalé son chapeau comme sur la question du contrôle des armes. Même s'il a besoin des votes de l'Amérique profonde, il a soutenu accorder sa confiance aux femmes qui font le choix de l'avortement. Le risque électoral est de toute façon mesuré.

   Les dignitaires catholiques américains aiment les enfants, qu'ils soient nés ou à naître comme on le sait trop bien, et ne ratent guère d'occasions pour rappeler leur opposition à l'avortement. Les plus fondamentalistes menaçaient même d'excommunier tout candidat catholique laxiste sur le sujet. Il n'empêche que, l'an dernier, la conférence des évêques a produit un document alambiqué qui autorise, du bout des lèvres, un électeur catholique à cocher sur son bulletin le nom d'un candidat qui se serait prononcé en faveur de l'avortement.

   On peut penser à l'époque qu'il s'agissait de lever l'ombre de la désapprobation qui aurait pu peser sur la candidature de Rudolph Giuliani, pro-avortement, ancien maire de New York et catholique, alors qu'il se présentait à la primaire républicaine. Aujourd'hui les prévenances de la hiérarchie catholique peuvent s'appliquer au candidat Obama qui ne ménage pas ses efforts pour séduire cette communauté de la grande et complexe famille religieuse américaine. Un sondage a montré cet été que 60% des femmes catholiques étaient favorables au maintien de l'arrêt Roe contre Wade.

   Le débat sur l'avortement est plus politique que légal. On peut être opposé à l'idée tout en reconnaissant que, comme l'a étudié l'Organisation mondiale de la santé, le fait qu'il soit légal ou pas n'influe pas sur le choix des femmes qui ont décidé d'interrompre une grossesse et sont prêtes à risquer leur vie dans les pays où il est illégal. Là est le grand paradoxe des "pro-vie", qui sont au passage souvent les mêmes à soutenir la peine de mort : leurs actions atteignent des degrés de violence qui laissent songeur quant à l'intitulé de leur mouvement.

   A Wichita, au Kansas, la clinique de l'emblématique docteur George Tiller est la cible des activistes " pro-vie " depuis des années. En 1993, une certaine Rachelle Shannon lui a tiré dessus avec un pistolet, le blessant aux deux bras pour qu'il arrête de pratiquer des avortements. La fanatique avait déjà attaqué une dizaine de cliniques dans le pays et regrettait juste de ne pas avoir fait sauter celle de sa victime.

   Le harcèlement continue, les amis de Mme Shannon passent leur temps en sit-in devant les cliniques et à faire signer des pétitions. Ce qui leur permet, grâce à une exception américaine, d'obliger les tribunaux à mettre régulièrement le docteur Tiller en accusation pour des avortements prétendument hors délai. Les procédures n'aboutissent jamais à une condamnation, le seul intérêt étant de faire lever le secret médical et d'obliger d'anciennes patientes traumatisées à comparaître devant un " grand jury " où elles doivent apporter la preuve que leur interruption de grossesse a été effectuée légalement.

 







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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

 

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