21 juillet 2008

Les bons contre les méchants

 

 

   Flagstaff, Arizona. Traverser l'Amérique sans emprunter la Route 66 - en français sur les panneaux - revient à visiter Paris sans voir la Tour Eiffel. Souvent, le long de notre parcours, des panneaux racoleurs nous invitaient à visiter des villages typiques en tout genre, d'Indiens, de cow-boys, de boogie-woogie ou de sosies d'Elvis Presley. L'affiche du bord de route répétait tous les trois miles que nul autre détour ne pouvait nous plonger aussi profondément dans la nostalgie des Sixties, de Marilyn Monroe et de John Wayne.

   Flairant l'arnaque des décors en carton-pâte et des musées de campagne, nous filions droit. Mais puisque la Route 66 s'offre aujourd'hui sans détour, parallèle à l'Interstate 40, il n'y a plus de raison de bouder le mythe. La piste des camionnettes Ford, roulées comme des poupons aux joues roses, et des Cadillac de frimeurs mène jusqu'au zinc des vieux comptoirs où la bière est chaude, la nourriture crado et le service mauvais. Dans le bon sens du terme. On peut être chaud, crado et mauvais tout en fleurant bon la nostalgie.

   Aux murs du bar, pendent une cinquantaine de photos encadrées à la gloire de la rébellion du temps passé. Les kids, comme tous les soixante-huitards du monde, ont grandi. Ils ont changé. Inexorablement. Leur exubérante soif de liberté a glissé le long des pentes de l'aventure jusqu'aux plaines. Il leur a fallu devenir des " good guys ", des bons citoyens. Nous évoquions il y a quelques jours l' affabilité et la générosité dont se doit de faire preuve tout Américain. La génération des contestataires est devenue celle du Bon Samaritain... Jusqu'à un certain point sur lequel je veux m'attarder ici.

   Le " good guy " ne grille jamais un stop. Au contraire, il se confond en gestes polis pour laisser passer son prochain. Il donne dix dollars pour les bonnes oeuvres et autant pour le jardin de l'école. Il sourit en toutes circonstances, est prodigue en encouragements. Mais, en affaires ou en gestion du personnel, il se montrera d'une crasse intransigeance.

   L'histoire se passe dans une école privée. La maîtresse, Lili, pleure à l'abri du regard de ses élèves. Elle vient de recevoir une lettre qui lui apprend brutalement qu'elle ne fera plus partie de l'effectif l'année prochaine et qu'elle n'a pas intérêt à se plaindre auprès de ses collègues si elle ne veut pas prendre la porte tout de suite. En lisant son courrier, elle n'en a plus rien à faire des sourires du nouveau patron qui ne lui dira jamais les motifs de son renvoi. Même, elle les lui renverrait volontiers à la figure. Son cas est à peine pire que celui du sous-directeur qui s'est rendu compte, en consultant le nouvel organigramme, que son poste avait disparu.

   C'est pourtant là, dans les écoles, que se forment les " good guys ". Chaque enfant, en plus d'apprendre consciencieusement ses leçons et de rendre régulièrement ses devoirs, se doit d'adopter un comportement exemplaire car le système juge sévèrement les contrevenants.  Le mauvais garçon n'a pas son petit carton vert à la fin de la journée mais il est affublé d'un carton jaune ou, pire, rouge. Le petit gars va alors commencer à goûter à l'existence des traqués, des dénoncés, des dépravés. Il sera privé de toboggan dans la cour de récré, et privé de pizza à la cantine, quand ses copains, les bons élèves, le nargueront du haut de l'estrade.

   Dans un monde qui glorifie les bons éléments de moult médailles et diplômes et qui stigmatise les " méchants ", la délation est devenue un sport national.

   La présomption d'innocence ne pèse pas lourd. Celui qui est accusé d'avoir commis un hold-up à main armée, cambriolé une bijouterie, kidnappé un otage ou... fraudé avec sa carte bleue ne marchera pas en paix. Les journaux publieront les avis de recherche avec marqué dessus, comme au temps du far-west et de Calamity Jane : Wanted ! Les bons Américains sont fortement incités à pianoter sur leur clavier l'adresse du site www.crimetips.org, que l'on peut traduire : " des tuyaux pour la police ". Voilà un bon moyen de retrouver les malfaisants, et, pourquoi pas, dénoncer son voisin à la mine patibulaire.

   " Le crime ne paie pas mais nous si ", dit la pub sécuritaire pour inciter les citoyens à rapporter les activités illégales dont ils peuvent être les témoins. Le secteur de la délation se porte d'autant mieux que la crise économique progresse. Sur les six premiers mois de l'année, les centres de réception de l'agence Crime Stoppers ont constaté une augmentation de près 25% des appels de délateurs espérant toucher une récompense qui peut aller de 50 à 1 000 dollars. " Nous sommes devenus une espèce de banque pour les gens défavorisés. Si cela nous permet de servir le souper sur certaines tables, c'est merveilleux ", commente Trish Routte, la coordinatrice de Crime Stoppers.

 

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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