DELINQUANCE JUVENILE : Les enfants face au juge

Publié le par Komansava

http://www.cg974.fr/culture/images/expo-virtuel/leon_dierx/galerie_nord/1912.01.36.jpgDe par la loi, et de par le bon sens, les mineurs ne peuvent être soumis au regard des journalistes et de leurs lecteurs comme le sont les adultes accusés de divers crimes et délits.
Contrairement aux audiences correctionnelles ou à celles de la cour d’assises qui sont, sauf exception, ouvertes au public, le tribunal des enfants ne se réunit qu’à huis clos. L’accusé est seul face à ses juges. Seuls ses parents proches assistent à son procès.
Aussi, le récit d’une audience dédiée aux enfants qui s’est déroulée ces derniers temps dans le tribunal de Saint-Denis a été débarrassé de tout élément permettant l’identification des accusés ou des victimes.
Il se veut néanmoins le plus fidèle possible au contexte général de la délinquance juvénile à La Réunion. Sans prétendre généraliser un processus avec seulement cinq cas parmi d’autres, les mêmes ingrédients entrent en oeuvre : des stupéfiants, des déchaînements de violence, le refus ou l’ignorance de toute autorité, la faiblesse ou l’absence des parents...
Franck CELLIER

 

LES PARENTS

D’abord, il y a les parents. Ou pas. Cas n°3 (*) a posé son regard sur un point fixe invisible suspendu à mi-distance entre lui et le juge. Il tient ainsi l’expression la plus neutre possible pour qu’on ne l’étiquette ni d’arrogance, ni d’accablement sous ses fautes. Un «ni-ni» pratique pour y dissimuler ses émotions. Il a juste prononcé une vague approbation lorsque le juge lui a demandé s’il acceptait la présence de sa «copine» dans la salle car seule les ascendants du prévenu mineur y sont invités de droit. Cas n°3 est en prison donc on peut imaginer que la présence, même fugace, de sa «copine» le réconforte plus qu’elle ne l’incommode. De toute façon, elle sait bien qui il est et ce qu’il a fait. Et si elle ne le sait pas complètement, elle va l’apprendre là, de la bouche des magistrats. La maman, ça, c’est autre chose. Elle est là elle aussi. Sans le père inexistant, lâcheur, nié… Elle est là impuissante. Elle dit à un moment qu’elle a envoyé le garçon chez un oncle en métropole alors qu’il dérapait salement à La Réunion. Elle dit que la petite soeur est très attachée à son «Dada». Elle dit qu’elle a payé son billet retour car Cas n°3 avait continué ses bêtises là-bas. Au lieu de s’assagir il s’était enfoncé un peu plus : cambriolage, vol de voitures, violence... Puis, quand l’avocat évoque la difficulté d’élever seule ses enfants, elle se tait. Cas n°3, quitte un court instant sa posture figée. Il se retourne. Pendant une seconde, il voit sa mère essuyer ses larmes en vain. Ses joues sont inondées. Il fixe à nouveau ce point invisible entre lui et le juge. Au prononcé de sa peine, avant de repartir entre deux policiers, il entend le juge préciser que «la mère est civilement responsable».

 

Cas n°4 n’a pas de parent à l’audience. Il assure qu’il les avait pourtant prévenus de l’heure et de la date mais ne semble pas étonné de leur absence. Plusieurs enfants de la fratrie de dix sont «placés». Lui aussi a failli être placé mais il vit toujours chez ses parents, nourri, logé et habillé comme le lui fait remarquer le juge en lui reprochant de ne rien faire pour trouver du travail.

Absence, faiblesse et souffrance

Cas n°2 est sorti de prison. Il est venu avec sa mère. Pauvre mère. Elle vit séparée du père. Presque toute la famille a eu maille à partir avec la justice. Elle aussi a été condamnée pour recel car les gendarmes ont trouvé des objets volés sous son toit. Cas n°2 vit parfois chez elle, parfois chez son père quand celui-ci n’est pas en prison. Le juge rapporte les méfaits familiaux, «les petites combines», et la maman a les bras croisés, le sourcil froncé. Le ton se veut pourtant prévenant pour évoquer les lacunes éducatives dont a souffert Cas n°2. Il a 18 ans, «On ne peut plus rien pour lui», dit le juge avant de l’avertir : «Méfiez-vous de vous et des gens qui vous entourent.»

 

Les trois cas cités jusqu’à présent montrent à l’évidence la souffrance et la faiblesse des parents. Le quatrième touche l’extrémité de ces deux douleurs. Cas n°1 a abusé sexuellement de sa petite soeur. Le père n’existe pas dans cette histoire. La mère a-t-elle vu, a-t-elle su comme l’indiquent les enquêteurs? N’a-t-elle rien vu comme elle le clame encore, encadrée par une éducatrice? Etait-elle sous l’emprise de médicaments comme elle le prétend? Ce n’est pas elle l’accusé (Et pourtant!) mais, c’est son fils.

 

Et la victime? Au-delà de son courage d’avoir dénoncé le calvaire qu’elle endurait, elle est profondément traumatisée selon l’avis des experts. Ils évoquent à son propos de la «culpabilité paradoxale», un «conflit de loyauté» de la «mésestime de soi» et des «idées suicidaires»... Au centre de toutes les peines, peines de prisons et traumatismes, la maman vit, évidemment, séparée de ses deux enfants.

 

* On aurait pu attribuer des prénoms d’emprunt mais le choix de la numérotation fait écho à une certaine froideur mathématique de la comparution : on attend son tour pour comparaître comme on attend l’énoncé de son chiffre dans la file d’attente de la Sécu ou du rayon charcuterie. 

 

 

LES JEUNES DÉLINQUANTS

La maman est assise sur un banc au fond de la salle d’audience. Devant elle, il y a le jeune lui-même : le délinquant ou, pour être plus précis et fuir la stigmatisation, «le jeune ayant commis des faits de délinquance». Comment est-il arrivé jusqu’à la barre des accusés? Et qui est-il?

 

Cas n° 5 est on ne peut plus transparent. Il a signé sa convocation mais ne s’est pas présenté. Ni lui, ni ses parents. Seule son avocate essaie de lui trouver des excuses. Elle essaie de convaincre le tribunal de la gravité relative du délit qui lui est reproché : un vol sans violence qui n’appelle généralement pas de peine de prison ferme. Il s’était apparemment tenu tranquille depuis sa première condamnation il y a trois ans. «Une éternité pour un enfant.» A cause de son absence, il écope pourtant de deux mois ferme. Une fermeté qui veut toucher «l’intouchable». En effet, Cas n° 5 a échappé à sa mère. Encore une mère seule qui redoute l’agressivité de son fils lorsqu’il est sous l’emprise du zamal et du Rivotril. Son oncle, qui l’avait accueilli quelque temps en métropole, a lui aussi jeté l’éponge et l’a renvoyé dans son île natale : Cas n° 5 lui posait «trop de problèmes». Comme pour Cas n°3 le «dépaysement» n’a rien arrangé. Du fait de l’absence de la mère et du père, les éducateurs entraient en contact avec lui par l’intermédiaire de ses tantes. Ils ont tenté de remettre sur les rails Cas n° 5, mais ils ont conclu à «l’impossibilité d’un suivi éducatif». Même face à l’appareil judiciaire, il a persisté dans la fuite, s’échappant de sa garde à vue et ne répondant pas aux convocations du juge. Il avait fallu un mandat d’amener pour le mettre en examen, il faudra sans doute encore aller le chercher pour le conduire en prison et qu’il comprenne que la justice, ce n’est pas que des mots en l’air face à des échappatoires.

 

«Un potentiel impulsif préoccupant»

 

Pour Cas n° 2, 3 et 4, l’exposition des faits dit dans quel déchaînement de violence ils se sont laissés entraîner sous l’effet de stupéfiants et dans l’élan impulsé par un groupe. Ils ont agressé leurs victimes ou les forces de l’ordre. Par chance, les coups qu’ils ont portés, n’ont pas provoqué le pire.

 

Cas n° 2 est décrit par son avocate comme «légèrement déficient mental, simple d’esprit». Il ne se rend pas compte que les sourires, qu’il arrive mal à contenir lorsque le juge évoque le détail de ses bagarres, risquent de plaider contre lui comme des signes d’insolence. Sans malice, il s’est lui même accusé de vendre du zamal et a plus souvent agi pour le compte de commanditaires plus âgés que pour son propre profit. Il est sorti de l’école analphabète. Et il n’y a que lors de son séjour en prison qu’il a, d’après son avocate, «pris plaisir à apprendre». Alors le tribunal veut croire qu’il puisse un jour trouver sa voie, honnêtement, en coupant les cannes. Il le condamne à près de 200 heures de travail d’intérêt général plutôt qu’à une nouvelle peine de prison.

 

Cas n°3 a l’expérience des procédures judiciaires. Depuis sept ans, il enchaîne les faits de délinquances. Le psychiatre relevait qu’à 14 ans déjà Cas n°3 se «livrait le moins possible». Un autre rapport signale qu’« il ne manifeste aucun regret, aucun sentiment de culpabilité et il présente un potentiel impulsif préoccupant». A voix basse, il reconnaît tout ce qui lui est reproché : son comportement et ses actes. Il baisse les yeux quand il le faut. Il n’aggrave pas son cas à la barre. Il sait aussi que l’affaire pour laquelle il est jugé aujourd’hui n’est que broutilles par rapport à celle qui lui vaut d’être en prison.

 

Cas n° 4 comparaît quant à lui pour la première fois. Il avait bien reçu une admonestation pour un vol banal il y a deux ans mais ne s’était plus manifesté avant de participer à des violences urbaines. Les débats portent davantage sur son parcours scolaire interrompu que sur les faits qui lui sont reprochés.

 

Prostré dans sa honte

Il a quitté le lycée avant d’obtenir son CAP et était si réticent que les éducateurs ont jeté l’éponge et renoncé à tout projet éducatif. De toute façon, il est majeur aujourd’hui. Que veut-il? Le juge veut connaître ses motivations lors des émeutes contre la vie chère.

 

– Vous faites de la politique? lui demande-t-il.

 

– Non.

 

– En fait vous n’en avez rien à fiche de la vie chère puisque vous ne payez ni votre nourriture ni vos fringues. Vous n’avez pas de projet. Il faudrait vous mettre au boulot. Sinon, vous allez vivre jusqu’à 30 ans chez vos parents.

 

Cas n° 4 écoute en silence. Il attend sa peine. 4 mois avec sursis. Il sort poliment, nonchalant. Remet sa casquette de rappeur. Il a eu «sa petite leçon de morale».

 

Cas n° 1 n’a pour sa part rien à voir avec les autres accusés de l’audience qu’il a croisés dans la salle des pas perdus. Il a abusé de la vulnérabilité de sa soeur née sept ans après lui. Il n’a pas l’air d’adopter une posture, de jouer un rôle. Il est prostré dans sa honte. Il construit des phrases pour dire où il habite aujourd’hui et quels sont ses projets de scolarité. Mais, figé, il est incapable de parler de lui. Regrets, excuses, on n’entend rien de Cas n° 1. Ses sanglots sont sans larme, son mal-être reste coincé dans sa gorge et lui déforme le visage. Au tout dernier moment, quand tombe la sentence de prison ferme, avec le paiement de 4 000€ à la partie civile, il essaie à nouveau de s’exprimer pendant d’interminables minutes. Il balbutie. C’est incompréhensible. Son avocat s’approche comme pour essayer d’en devenir l’interprète. Il croit, ou espère, entendre des excuses... Le suivi psychiatrique promet d’être long.

 

LES MAGISTRATS

Les enfants accusés de délits et leurs parents retrouvent un visage connu dans la salle d’audience, celui du juge des enfants Patrice Fillol, entouré de deux assesseurs. Il les a déjà convoqués, admonestés, voire condamnés pour des faits antérieurs. Ses sourires et quelques échanges complices avec sa greffière contribuent parfois à décrisper les débats. Mais le ton général est celui de l’autorité.

 

«Plus grand-chose ne leur fait peur. Lorsqu’ils voient les gendarmes ou les policiers nous saluer et lorsqu’ils voient nos robes noires, ils comprennent que l’affaire est sérieuse», commente Pierre Martello le nouveau substitut du procureur qui vient d’arriver de Poitou-Charente. A l’inverse du juge, il n’est pas spécialisé pour requérir contre des mineurs. Les avocats non plus ne sont pas regroupés dans un conseil pour les mineurs. Mais tous font la différence entre «un adulte» et «une personnalité en devenir» et adaptent leur discours.

 

Comme le veut l’esprit de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, l’aspect éducatif prime sur le répressif. Le substitut hausse la voix, insiste sur la gravité des actes commis mais il ne manque pas de rappeler à chaque réquisitoire que pour un majeur, la peine demandée serait beaucoup plus élevée : par exemple trois ans fermes au lieu de 8 mois assortis de sursis.

 

«Il vous faut choisir maintenant»

 

Patrice Fillol, quant à lui, va certes juger et punir, comme le veut sa fonction. Mais tout au long de l’audience, il porte la voix des éducateurs, s’appuie sur leurs rapports. Il sermonne l’adolescent déviant ou ses parents : «Le premier éducateur, ce n’est pas la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou l’aide sociale. Le premier éducateur c’est le parent. Il faut que vous le compreniez si vous ne voulez pas aller voir vos enfants en prison», lance-t-il à une mère dépassée.

 

Au-delà des rôles conventionnels de celui qui défend, de celui qui accuse et de celui qui juge, substitut, avocat et juge participent tour à tour à la même «leçon de morale». L’adolescent, qui ressort généralement libre de la salle d’audience pourrait la prendre comme telle… et ne guère en tenir compte. Pour autant cette leçon n’a jamais été aussi claire. «Vous n’êtes jamais sorti de la spirale de la délinquance. Au contraire, c’est à chaque fois un peu plus grave. Maintenant il vous faut réfléchir sinon on vous considérera comme quelqu’un de dangereux pour la société qui n’a pas sa place dehors», s’exclame Patrice Fillol. En écho, Pierre Martello ajoute : «Il vous faut choisir maintenant : être un voyou ou quelqu’un de bien. Vous devez montrer que vous valez mieux que les actes que vous avez commis.» Et l’avocate de conclure que «les travaux d’intérêt généraux permettront à (son) client de prouver qu’il peut faire quelque chose de positif».

 

Quand le juge, l’avocat et le procureur sont d’accord sur la peine avant même qu’elle ne soit prononcée, le jeune accusé ne peut plus que s’incliner et murmurer un timide «oui». Pour lui, le plus dur reste à venir : rendre ce «oui» sincère.

 

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Ce que dit la loi

Responsabilité de l’enfant. Selon la loi à la suite d’infraction pénale (crime, délit, contravention) un mineur de 18 ans, s’il est capable de discernement, peut être reconnu pénalement responsable. Il fera l’objet soit de mesures éducatives de protection d’assistance, de surveillance et d’éducation ou dès ses 10 ans de sanctions éducatives et dès ses 13 ans de peines pénales (emprisonnement avec sursis simple, avec mise à l’épreuve, TIG, emprisonnement ferme).
Pour l’exemple, la plupart du temps lorsque les mineurs sont délinquants primaires et auteurs de délits, ils sont jugés en audience de cabinet ou des avertissements ou/et des mesures de surveillance sont ordonnées. Lorsqu’ils sont en état de réitération ou de récidive, ils sont renvoyés devant le tribunal pour enfants et, tant qu’il existe, devant le tribunal correctionnel des mineurs.
Responsabilité des parents. Le Juge des enfants doit tenir impérativement compte en matière civile comme en matière pénale de l’existence des parents. Il lui appartiendra lors de ses prises de décisions soit d’épauler les parents, les soutenir ou les suppléer dans l’éducation de leur enfant, soit de s’en distancer voire de s’y opposer. En matière pénale, s’ils ont en charge leur enfant, ils sont déclarés civilement responsables et condamnés notamment à payer avec le mineur des dommages-intérêts aux parties civiles.

PATRICE FILLOL
«Protéger avant de sanctionner»

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Patrice Fillol a été successivement juge des enfants à Meaux ; juge des enfants à Créteil ; juge d’instance à Saint-Denis de La Réunion ; président du tribunal de grande instance de Narbonne et, depuis mars 2004, vice-président, coordonnateur du tribunal pour enfants de Saint-Denis de La Réunion. (Photo : Thierry Villendeuil)

– Devient-on juge des enfants par vocation, qu’est ce qui vous a orienté vers une telle spécialisation?

 

– Pendant plus de 20 ans, j’ai été juge des enfants. Dès mon entrée dans la magistrature, j’ai choisi ce métier parce que je portais un intérêt particulier à cette fonction que je trouve des plus passionnantes. On peut être à la fois juge en matière familiale, il s’agit de l’assistance éducative, et juge au pénal, où nous exerçons à la fois en qualité de juge d’instruction, de président de juridiction et de juge de l’application des peines. Il est passionnant aussi parce que les justiciables qui relèvent de notre juridiction sont particulièrement démunis et confrontés à des situations de souffrance qu’il est difficile d’imaginer parfois. Il s’agit donc d’essayer de les protéger et de les aider avant d’envisager de les sanctionner. Je pense donc qu’effectivement il faut avoir une vocation pour s’épanouir dans l’exercice de ce métier.

 

– Quel type de délinquance juvénile avez-vous à juger?

 

– Les infractions les plus fréquentes sont les cambriolages, les vols et dégradations de voiture, vols avec violences de téléphones portables, violences sur les personnes (le plus souvent des mineurs du même âge). Nous sommes confrontés très rarement à une délinquance de jeunes filles. Les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes. Certains comportements délinquants sont inquiétants car commis sous l’effet de substances illicites le plus souvent des cocktails de zamal, d’alcool, Rivotril, Artane. Cela les conduit à être de plus en plus dangereux.

 

– Cette délinquance prend-elle à La Réunion une forme différente de celle que l’on observe en métropole?

 

– A La Réunion, la délinquance est comparable à celle de métropole pour les délits que je viens de citer. Par contre, il n’y a pas chez les jeunes Réunionnais d’organisation de bandes et de réseaux autour de trafics de stupéfiants tel que cela se passe en métropole. Les braquages de commerces sont rares.

 

– Quels sont les principaux mécanismes qui entraînent un enfant vers la délinquance?

 

– Ce sont les mécanismes classiques : situation sociale très dégradée, décrochage des parents qui sont eux-mêmes en difficultés, identification à un groupe qui se marginalise, éducation au sein d’un foyer familial où les parents sont eux mêmes délinquants.

 

– Le juge est-il uniquement celui qui lit la loi ou bien cherche-t-il aussi à ramener les jeunes délinquants sur le chemin de la réinsertion?

 

– L’intérêt de l’ordonnance du 2 février 1945 est qu’elle donne au juge une latitude qui permet d’abord de donner priorité à l’éducatif pour ensuite passer au répressif mais aussi par la suite, si le mineur en comprend l’intérêt, de revenir à l’éducatif. Ce qui guide le juge avec comme support la loi c’est d’essayer, même après un séjour en prison du mineur, de tenter de le réinsérer.

 

– Quelles sont les critères qui orientent votre jugement vers un placement en foyer, un placement dans une famille d’accueil, un placement en centre éducatif fermé ou un emprisonnement dans le quartier des mineurs de la prison de Domenjod?

 

– Les critères qui nous déterminent à placer les mineurs délinquants sont généralement les carences éducatives parentales qui ne l’empêchent pas de récidiver. Et ce qui nous conduit à l’incarcérer c’est toujours la gravité des actes commis et les antécédents judiciaires de l’intéressé. Le placement en centre éducatif fermé était réservé ici à La Réunion aux mineurs le plus souvent en situation de récidive et âgés de moins de 16 ans. Le projet a évolué et sont accueillis désormais les mineurs de moins de 17 ans. La contrainte qui leur est imposée est de se soumettre au projet éducatif de cet établissement et de n’en sortir que s’ils y sont autorisés. La sanction, s’ils ne respectent pas cette obligation, est l’incarcération. Les familles d’accueil permettent de prendre en charge des jeunes difficiles qui ne supportent pas le collectif (CEF, CER, foyer PJJ).

 

– Selon vous, les structures de placement existantes à La Réunion et les moyens humains en termes d’éducateurs sont-ils à la hauteur du défi posé par la délinquance juvénile ici?

 

– Le nombre de structures à La Réunion est suffisant. Seuls les projets éducatifs des foyers accueillant les mineurs délinquants me posent problème aujourd’hui. J’ai suffisamment de recul pour constater que dès que le nombre de mineurs accueillis est supérieur à 5 par établissement, les comportements des jeunes placés deviennent ingérables. Cela s’est vérifié sur au moins quatre foyers de l’île. Le zamal, l’alcool et autres produits illicites finissent par être présents au quotidien dans l’établissement. Les jeunes se mettent dans des états tels qu’ils créent de la violence entre eux, envers les personnels et tentent de prendre le pouvoir. Cela finit le plus souvent par une présentation devant le juge des enfants qui décide de l’incarcération. La PJJ à la demande des juges des enfants vient de revoir le projet éducatif de son foyer. Désormais les jeunes y seront beaucoup moins nombreux et beaucoup seront orientés vers des familles d’accueil recrutées par la PJJ. Cela fonctionne depuis quelques semaines et semble satisfaisant.

 

– L’efficacité des centres éducatifs fermés a notamment été mise en doute par la Garde des Sceaux, qu’en est-il de celui de Sainte-Anne?

 

– L’efficacité du centre éducatif de Sainte-Anne est malheureusement toujours à démontrer. Pour le moment, je ne peux qu’émettre des réserves sur cette structure éducative.

 

Interview : Franck CELLIER

 

Lexique : (PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse. CEF : Centre éducatif fermé. CER : Centre éducatif renforcé)

 

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