19 juillet 2008

La médaille olympique du marketing

 


   Sedona Arizona. La splendeur du Grand Canyon mérite mieux que les embouteillages et les parkings saturés que lui inflige sa notoriété. Le Colorado s'écoule entre des effondrements effarants. Comment un fleuve peut-il percer une montagne par le travers plutôt que la contourner ? Une brume insidieuse se répand de loin en loin. Sa densité, qui est relevée scientifiquement heure par heure, est directement liée au degré de pollution atmosphérique. La crasse colle décidément à l'humanité même loin des banlieues puantes.

   Les yeux plissés d'une amertume certaine, nous fuyons la merveille géologique, ainsi que sa salle de cinéma " Imax " du National Geographic, et traversons les forêts de Kaibab pour arriver à Sedona, ville d'artistes qu'une énergie tellurique aurait paraît-il inspirés. Sous prétexte que la température dépasse les 110 degrés Fahrenheit (43°C) dans la plaine et à Phoenix, les rues, les vallées et la rivière environnantes débordent de grosses voitures et de chasseurs de glaçons. Notre quête de quelques mètres carrés pour y planter une tente va nous précipiter sur l'une des scènes les plus surprenantes du grand marketing show des Etats-Unis. En plein crash immobilier, une armée de représentants va essayer de nous vendre une parcelle de propriété hôtelière pour 500 dollars par mois sur 10 ans. En échange de notre accord pour écouter deux heures durant ses arguments, le vendeur nous loge gratuitement pendant une nuit dans un appartement du même modèle que celui que nous pourrions acheter.

   La version américaine du " Time sharing " n'est pas différente de celle qui sévit en France. En revanche, l'énergie déployée pour ferrer le poisson défie l'entendement : les cadeaux, la flatterie - " Que les Français sont ouverts d'esprits " - la camaraderie - " Venez faire un tour avec moi dans ma voiture de golf " -, le marchandage qui divisera le montant du prêt par cinq, les techniques de négociations avec l'organisation de conciliabules et le défilé de quatre émissaires. En vain.

   Brian, qui fut notre principal interlocuteur, prétend que 30% de ses visiteurs signent un contrat à la fin de l'entretien, sachant que chaque matin une centaine de couples passent dans les salons de son hôtel où les attend une armée de représentants. Les touristes, en grande majorité américains, ont l'habitude de ce genre de " marketing show ". Nous y retournerons à Las Vegas en échange de repas, de visites au zoo, et d'une croisière en Floride que nous ne ferons jamais. Mais la valeur des cadeaux, environ 200 dollars, n'empêche pas que l'on se lasse bien vite de ce matraquage.

   D'autant plus que le battage publicitaire, tout comme le déploiement permanent de mille stratagèmes pour retirer le plus de pognon possible des poches des consommateurs, pousse vite toute une population sur la défensive. La gratuité est rare et suspecte. Par exemple, le deuxième verre de Coca-Cola ou de Pepsi, puis le troisième et tous ceux qui suivent, sont offerts dans la plupart des fast-foods. Avec pour résultats évidents, l'envie d'acheter un autre cheeseburger, des enfants obèses et des adultes qui ne le sont pas moins.

   Face à la surconsommation de sucres et de graisses, les associations de consommateurs exigent un minimum de retenue de la part des géants de l'industrie agro-alimentaire. Mais les sociétés, faussement coopératives, établissent elles-mêmes les normes contrôlant la composition de leurs produits ou diminuant leur droit à pilonner les mineurs de messages publicitaires. Les industriels et restaurants affichent sans honte des hamburgers aux vertus amaigrissantes. Quand Kraft (Milka, Lu, Toblerone...) fixe la teneur maximum de ses crackers à 100 calories, son concurrent ConAgra (Big Mama Sausage) se contente d'une limite à 350 calories. Tous continuent d'exciter l'appétit des enfants collés devant la télé, pour mieux les gaver ensuite d'une pitance plus ou moins addictive, bourrée d'hormones et d'organismes génétiquement modifiés.

   L'appât du gain l'emporte sur toute autre considération. Les géants économiques, qu'ils soient agroalimentaires, pharmaceutiques, assureurs ou pétroliers, ont prouvé à maintes reprises qu'ils ne reculaient devant rien pour vendre plus. Ils abrutissent les consommateurs, achètent les médecins pour vendre leur médicament, dépensent plus d'argent en publicité qu'en remboursements et ont mis en place le système de distribution d'essence le plus vicieux du monde.

   Le prix à la pompe varie dix fois par jour, en fonction des cours du pétrole mais aussi en fonction de la demande. Des sites Internet aiguillent en temps réel les automobilistes vers les stations d'essence les moins chères. La mobilisation de milliers " d'experts " dans chaque camp pour animer ce grand jeu de piste prouve à elle seule que ça doit rapporter pas mal. Business is business.

 

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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