9 juillet 2008

Un message venu des nuages




   Estes Park, Colorado. Cache-cache. Parfois, on voit les montagnes. Parfois, on ne voit que de lourds nuages. Le temps change à une vitesse dingue. Il peut se produire un peu partout dans le monde des orages soudains comme celui qui s'abat sur nous juste avant d'entrer dans la vallée d'Estes Park, porte d'accès au parc national des Rocheuses. Mais le pays présente aussi la particularité d' additionner sur son sol toutes les calamités météorologiques imaginables : des cyclones, des canicules, des températures polaires, des orages foudroyants et des tornades.

   Des loulous impassibles affrontent l'adversité du thermomètre par le bluff, en jean et en tee-shirt, quoi qu'en dise le mercure. Le genre chewing-gum entre les dents et les yeux dans les vagues. " On a conquis l'Ouest à coup de colts, on va pas se laisser emmerder par le vent ". Mais toute personne un peu raisonnable se méfie des sautes d'humeur atmosphériques. Ce n'est pas du cinéma.

   Quand masses d'air froid, humidité et chaleur entrent en collision, les cumulonimbus s'affolent et les écrans des chaînes de télévision spécialisées passent par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Les téléspectateurs apeurés assistent à la confrontation des phénomènes sur la carte des Etats-Unis en se demandant ce qui va leur tomber sur la tête. Un message d'alerte du service national de la météo interrompt toutes les émissions de radio, des sirènes se mettent à hurler dans les rues et dans les établissements recevant du public.

   Les messages de prévention sont répétés jusqu'à saturation : réfugiez-vous dans la cave ou, à défaut, dans une pièce du rez-de-chaussée sans fenêtre. Si vous êtes en voiture, abandonnez votre véhicule qui risque d'être emporté comme un fétu de paille et allongez-vous au fond d'un fossé en vous protégeant autant que possible des divers objets qui pourraient retomber du ciel. A l'attention des sceptiques, journaux et télés diffusent les images de bâtiments réduits à l'état de charpie.

   La tornade est la manifestation naturelle la plus meurtrière d'Amérique. Le tourbillon, dont les rafales peuvent dépasser les 400 kilomètres par heure, n'est pas détectable mais il laisse derrière lui une trace assez nette de son passage comme s'il avait sélectionné, au mètre près, ce qu'il était venu détruire. Aussi, le pauvre John E. Hill, de Clinton dans l'Arkansas, a-t-il dû se sentir cruellement persécuté par le mauvais sort. Le 2 février, il perdait son emploi parce qu'une tornade avait démoli l'usine dans laquelle il travaillait comme soudeur. Trois mois après, une autre tornade emportait sa maison, ses voitures et ses économies...

   On comprend aisément qu'il voie dans cette accumulation de malheurs une punition divine, lui qui ne pensait pas vivre dans une région à tornades comme le Mississipi voisin. Pour sa femme Jackie, le doute n'est plus permis : " Les hommes ont joué avec le feu, ils ont déréglé les écosystèmes ". Sans arriver à des conclusions aussi radicales, les chercheurs et météorologistes confirment que la saison 2008 est l'une des plus dramatiques de ces dix dernières années tant en nombre de morts (121 en six mois contre une moyenne annuelle de 62) qu'en nombre de tornades (plus de 1 800).

    En décembre dernier, le professeur en sciences atmosphériques, Rober J. Trapp, de l'université de Purdue, publiait une étude selon laquelle les conditions favorables au développement de tornades et autres phénomènes extrêmes apparaîtraient deux fois plus souvent avec un réchauffement climatique de deux à six degrés Celsius. Et cette aggravation affecterait le sud du pays, la côte est et les villes, dont New-York. Hollywood s'est déjà chargé de montrer ce que le déchaînement des éléments pouvait donner mais la réalité rejoint la fiction.

   Depuis le passage du dévastateur et monstrueux cyclone Katrina sur la Louisiane en 2005, l'opinion publique américaine est convaincue de l'étroite relation entre l'activité humaine et le renforcement des désastres climatiques. Un sentiment que les rapports alarmistes sur la fonte des glaces polaires n'ont fait que renforcer. La planète se dérègle et la population en subit les conséquences de plein fouet. Comme les attentats du 11 septembre ont brutalement fait comprendre à l'Amérique qu'elle n'était pas aussi protégée qu'elle le croyait du désordre mondial, les ravages de Katrina puis la répétition d'autres catastrophes dont les inondations du Mississipi de ce mois de juin ont réveillé les consciences : ça n'arrive pas qu'aux damnés de la terre des pays sous-développés.

   La famille modèle américaine, soudain victime d'une digue submergée par les flots du Mississipi, s'est découverte trahie par des infrastructures vieillissantes, abandonnée par l'assureur, négligée voire trompée par l'aménageur. Flouée, elle se rend compte que la leçon des inondations de 1993 a fini à la corbeille : pour des profits immédiats, l'agriculteur a continué à assécher des zones humides tampon et les villes à s'étendre sur des terrains inondables.











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copyright (textes et photos) : Franck Cellier


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