7 juillet 2008

La ville la plus sale du monde


   Bonny Lake, Colorado. Le soleil a séché l'herbe sur place. Il n'y a guère que les serpents et les aigles pour se disputer les mulots. On dit de cette terre qu'elle est celle de Dieu parce que personne d'autre n'en a voulu. Le Colorado succède au Kansas mais attend une bonne centaine de miles pour dévoiler ses Rocheuses majestueuses. Les villages sont déserts. Désertés?

   Quand tu rentres affamé dans l'une des rares boutiques, espérant y découvrir ton dîner, tu déchantes vite et regrettes les abominables centres commerciaux des banlieues d'abondance. Le tenancier, hypnotisé par un écran de télé à l'image brouillée, désigne une boîte de sardines et hausse les épaules sans daigner t'accorder un regard. La tête massive de cerf accrochée au mur contemple la scène avec une tendresse déplacée.

   Le lac Bonny est au plus bas. Les poissons ont grillé, piégés dans des poches d'eau aujourd'hui asséchées. Des dizaines de troncs tranchés à un pied du sol témoignent qu'il y eut une forêt ici, avant le barrage. " Les agriculteurs du Kansas avaient besoin d'eau alors on leur a envoyé tout ce que nous avions. C'est stupide ", raconte un dépanneur de Sterling à la dent dure contre les riches fermiers qui sont tout à la fois moissonneurs et foreurs pétroliers. Sa conscience écologiste en souffre. Un peu.

   Les Etats-Unis ne sont pas réputés pour être  champions de la sauvegarde de la planète, même si Al Gore a produit un film phare, " Une vérité qui dérange ", en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Les fonctionnaires de Washington se sont arraché les cheveux cette année pour savoir s'il fallait inscrire l'ours polaire sur la liste des animaux menacés. Une sombre histoire a mis en jeu le lobby industriel accusé d'avoir retardé ladite inscription alors que la diminution sévère de la population des ours polaires ne prêtait lieu à aucune discussion.

   Or, l'ours polaire, qui a la chance d'être médiatiquement plus excitant qu'un quelconque mollusque ou insecte rampant, apparaît comme la victime emblématique du réchauffement climatique puisque son principal péril tient dans la réduction de son habitat glaciaire. Son inscription sur la liste des animaux en danger de disparition oblige donc, en théorie, le gouvernement des Etats-Unis à tout mettre en oeuvre pour réduire les émissions de CO2 dans l'atmosphère, à moins de se mettre hors-la-loi vis-à-vis de sa propre législation de protection de l'environnement.

   Le raisonnement des associations écologistes, qui font campagne autour de l'ours polaire, est tortueux mais illustre bien les difficultés qu'ont les Américains pour s'engager dans la sauvegarde de la planète. Ils aiment la nature, voudraient vivre en harmonie avec elle tout en préservant leur confort. Ils ont longtemps cru le challenge possible mais les faits leur reviennent en pleine tête comme un boomerang.

   L'exemple d'Indianapolis est frappant en la matière. Il n'y a pas une ville plus verte. Du haut des buildings du centre-ville, l'oeil se porte sur une vaste forêt. Une forêt domestiquée mais une forêt tout de même sur des miles et des miles. Chaque maison a son petit bois à l'arrière où s'ébattent les écureuils et un étang à l'avant où se regroupent les canards sauvages. Les clairières abritent des golfs. En lisière, plusieurs parcs naturels accueillent des cervidés. Quand les beaux jours reviennent, cyclistes et joggeurs envahissent des pistes dédiées à leur plaisir exclusif.

   Pourtant, encore plus que Pékin dont on a découvert cet été le nuage de pollution, Indianapolis est la ville la plus sale de la planète si on calcule la trace de gaz carbonique pat tête d'habitant qu'elle rejette dans l'environnement.

   Comme bien d'autres villes du Midwest, où les hivers sont rudes et les étés caniculaires, Indianapolis s'allume, se chauffe et se climatise au charbon. Elle est tellement étendue et les transports en commun sont tellement inefficaces que chaque habitant parcourt une cinquantaine de kilomètres par jour au volant de sa grosse voiture. En fait, vivre à Indianapolis, c'est aussi recracher dans l'atmosphère plus de gaz à effet de serre que n'importe quel autre terrien.

   L'Américain a sans doute, inscrits dans ses gènes, un insatiable besoin de grands espaces et une volonté farouche de défendre sa liberté. Il a construit ce territoire à sa mesure et comme il l'a voulu. Avec violence. Et il ressent comme une violence en retour cette nouvelle donne qui voudrait qu'on ne tourne plus les climatiseurs sur la position " glaçon ", qu'on range le Hummer au garage pour prendre le bus ou qu'on arrête de surcharger la terre de fertilisants, qui vont polluer le golfe du Mexique, pour avoir le plus gros épis de maïs du monde.

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Celllier

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