Tévelave : sur le chemin des charbonniers

Publié le par Komansava

Camille Corré, aidé d’amis et de parents, passe chaque semaine plusieurs jours dans son camp du Tévelave. Là-haut, dans le brouillard, les charbonniers nettoient la forêt et font cuire leur bois d’énergie dans de grands fûts.

 

Quand les pique-niqueurs de Pâques descendent de la forêt du Maïdo en fin d’après-midi, Camille Corré et son ami sexagénaire Camille Fontaine y montent pour y retrouver les conditions «à la dure» de leur camp de charbonniers perché à 1 800 mètres d’altitude au-dessus de la ravine de l’Échelle, à la frontière entre les Avirons et Saint-Leu. «Excusez-nous! La femme de ménage n’est pas passée», rigolent-ils pour justifier le léger capharnaüm.

 

Au coin du boucan en tôles, le foyer cuit le cari et réchauffe les deux pièces : d’un côté les lits suspendus, de l’autre le canapé et la cafetière. Une pin-up en papier glacé est punaisée sur la cloison en bagapan, un litre de rhum Charrette se love dans le creux du matelas. Les deux cuisiniers cafriplainois dormiront deux nuits ici, peut-être trois en fonction de l’avancée de leur «chantier» .

 

Du lever au coucher du soleil, ils nettoient la forêt incendiée il y a un an et demi en y récupérant du «bois d’énergie» qu’ils transforment en charbon de bois dans une dizaine de fours.


«Un travail physique, compliqué et salissant»

Charbonniers-du-Maido 1866

 

Au volant de son tracteur tout-terrain, Camille Corré emprunte les pistes sinueuses tracées dans l’urgence par les pompiers lors du dernier incendie. Il rejoint l’une des parcelles que l’ONF lui a concédée après avoir estimé qu’il n’était pas possible d’en tirer du bois pour la construction. Au coeur de la forêt enveloppée de brouillard, une tronçonneuse rugit, alors que claque une hache. Deux autres ouvriers sont déjà à l’oeuvre et débitent les troncs et branches de tamarins et acacias morts. Le tracteur s’approche au plus près des tas de bûchettes éclatées.

 

«Parfois, je travaille avec des gens du coin ou avec ma famille, parfois je fais ça tout seul avec mon collègue, explique le «patron» entre deux souffles tout en chargeant les blocs de bois dans la remorque du tracteur. Je suis charbonnier depuis une quinzaine d’années mais ce n’est pas mon seul métier, sinon je n’arriverais pas à payer les études de mes enfants et à avoir une retraite.»

 

Charbonniers-du-Maido 1867

 

Les frères Corré, de la Plaine des Cafres, ont hérité du camp du Tévelave après le grand incendie de 1989. Ils perpétuaient ainsi l’activité de leur père Aimé. «C’est un travail physique, compliqué, salissant et qui demande beaucoup de courage. Nous ne sommes que cinq ou six familles dans l’île à faire ça», analyse Camille Corré. «Le métier s’est amélioré, précise Camille Fontaine. Dans le temps, on mettait les bouts de bois en tas. On les recouvrait de terre et d’herbes avant d’y mettre le feu, maintenant il y a les fours.» Les Corré ont en effet récupéré des cuves de gasoil dont ils ont scié la base. Et l’ONF leur a fourni des fours plus spécifiques. L’Office a également installé une citerne d’eau sur le camp au cas où le charbonnage provoquerait un incendie. Ce qui n’est jamais arrivé.

 

Le principe rudimentaire de la carbonisation du bois en l’absence d’oxygène consiste à disposer des brindilles qui serviront d’allume-feu. À l’aide d’une simple barre glissée sous le couvercle, le bras grue du tracteur soulève le four puis l’installe au-dessus. L’un des deux Camille positionne quelques bûches à la base pour laisser passer un peu d’air. Puis les deux hommes jettent le bois sec dans le four jusqu’à «ras la gueule». Ils n’hésitent pas à rentrer dans le fût pour mieux positionner les bûches. Tout l’art du charbonnier consiste ensuite à surveiller «la cuisson» .

 

Charbonniers-du-Maido 1870

 

«Le charbon de bois préféré des grilleurs de poulet»

 

Une fois que toute l’humidité s’est échappée en fumée de la cheminée, il bouche en quelques pelletées l’arrivée basse de l’oxygène. Au bout de quelques heures, avec sa petite échelle, il grimpe sur le four refroidi et ouvre le couvercle pour constater l’état de son charbon. Le four s’est alors vidé des deux tiers de son volume. Camille Corré peut à nouveau actionner la grue du tracteur pour soulever le four et en libérer son contenu. Fier comme un enfant qui montre une bonne note, Camille Fontaine se saisit des plus gros morceaux et s’assoit sur son tas de charbon de bois. En connaisseur, il commente : «C’est léger mais il y a du volume, c’est le charbon de bois préféré des grilleurs de poulets des bords de route.» Ceux-ci ont longtemps été les principaux clients du charbonnier. Les deux mains dans son charbon, l’expert est même capable de différencier, à leur densité, les morceaux d’acacia des morceaux de tamarin.

 

Charbonniers-du-Maido 1869

 

Avant de repartir dans la forêt pour ramasser de nouvelles bûches, il s’assure qu’il ne reste aucune braise sous le charbon car un coup de vent suffirait à réduire en cendres tout son travail.

 

Pour transporter son charbon jusqu’à chez lui, à la Plaine des Cafres, Camille Corré l’emballe dans de gros sacs en toile. Sur place, il le reconditionnera dans les tout nouveaux sachets en kraft que lui a confiés la société des Glacières. Celle-ci assure désormais la distribution de son produit pays auprès des stations-service.

 

Franck Cellier

 

 


 Le nouveau départ du charbon pays

Charbonniers-du-Maido 1872


La Réunion aime la cuisine au feu de bois, les pique-niques et les produits pays, pourtant elle importe la quasi-totalité de son charbon de bois d’Afrique du Sud. Alors que les forêts réunionnaises regorgent de bois d’énergie, la société des Glacières relance la commercialisation du charbon de bois local dans les stations-service.

Réalisme. C’est la première qualité de l’initiative des Glacières de La Réunion et de sa filiale Rundom qui viennent de lancer un nouveau packaging du charbon de bois pays dans les 150 stations-service de l’île. Et humilité. C’est la manière choisie pour se présenter au consommateur réunionnais.

Depuis quelques semaines, les bois carbonisés de la forêt du Maïdo se vendent dans de petits sacs en kraft biodégradables de 12 litres. Ils ne veulent pas se faire plus gros que leurs concurrents sud-africains mais comptent bien grignoter quelques parts de marché.

Derrière ce réalisme et cette humilité se profile l’espoir de développer enfin la filière réunionnaise du bois d’énergie. Les derniers grands incendies de la forêt du Maïdo en 2010 et 2011 ont rappelé, plus de vingt ans après le désastreux précédent de 1989, qu’une forêt ne se protège bien que si elle est correctement exploitée. Or La Réunion, si fière de ses caris au feu de bois, boude complètement sa source d’énergie originelle.

Comme de nombreux autres «métiers lontan», les charbonniers des Hauts sont une espèce endémique en voie de disparition. Pourtant l’ONF est le premier à reconnaître qu’ils nettoient la forêt des pestes végétales et du surplus de bois dont l’accumulation s’assimile à un véritable brasier à retardement. Nul besoin de commander une étude approfondie pour reconnaître, comme l’a fait le forestier du Tévelave (lire encadré), qu’il y a largement matière à couper du bois d’énergie, de manière rationnelle, sans risquer la déforestation.


80% du charbon de bois est sud-africain


Même s’il cite avec passion les discours écologistes de Nicolas Hulot, Michel Samaan, le directeur des Glacières de La Réunion, s’est d’abord intéressé à la faisabilité économique de la commercialisation du charbon de bois pays. L’homme est mesuré et prudent.

Depuis 20 ans, sa société s’est imposée sur le marché de l’approvisionnement des stations-service en sacs à glaçons et en charbon de bois mais elle demeure de taille modeste. Pas question donc de la fragiliser avec un projet fumeux. Non! Au-delà des grands équilibres environnementaux de La Réunion, il fallait que le contexte économique se prête à l’aventure de la production locale.

«Je travaille avec les Sud-Africains depuis 1993, ils sont les leaders incontestés du charbon de bois au niveau régional et représentent avec la Namibie 80% du charbon de bois consommé à La Réunion, explique-t-il. Mais en 2011, ils ont augmenté leurs prix de près de 30%. C’est ce qui m’a poussé à envisager une production locale.» Au guidon de sa moto, il a pris la route des Hauts et fait le tour des charbonniers. Camille Corré (lire encadré) s’est montré le plus intéressé pour relever le défi d’une production régulière.

Jusqu’alors les charbonniers pays ne livraient que quelques stations au coup par coup dans des sacs en plastique peu identifiables. Les Glacières ont adopté une approche plus commerciale et essayé diverses présentations avant d’aboutir, il y a quelques semaines, aux fameux sacs en kraft. L’an dernier, lors d’opérations «produits pays», les magasins Carrefour ont également vendu un peu de ce charbon du Maïdo. «Nous n’avons pas affiché le label “ Nou la fé ” que nous pourrions obtenir sans problème parce que nous avançons progressivement», insiste Michel Samaan.

Charbonniers-du-Maido 1873

Transfert de valeur ajoutée vers La Réunion


Pour commencer, une fois par semaine, Camille Corré livre environ 400 sacs aux sièges des Glacières à Cambaie. Son charbon des Hauts trouve place aux côtés des sacs de glaçons dans les camions de livraison. Aux côtés également du charbon sud-africain que les Glacières continuent à distribuer.

«Le charbon pays n’a pas la capacité de prendre toute la place ou de concurrencer des produits spécifiques auto-allumants, remarque le patron des Glacières. Il s’agit juste de transférer de la valeur ajoutée de l’Afrique du Sud vers La Réunion et de privilégier les circuits courts. J’estime placer un produit idéal. On le vend au volume, car ça compte plus que le poids et à une quantité qui correspond au besoin d’un barbecue réunionnais. En 2013 on se positionne. En 2014 on espère mieux structurer la filière.»

 

Charbonniers-du-Maido 1874


A environ 5€ les 12 litres (équivalent de 2,5 kilos), le charbon de bois pays affronte des sacs importés de 5 kilos à 7€. Le coup d’envoi du match est sifflé. Les consommateurs seront les arbitres. «Ce n’est pas l’origine qui déterminera leur achat mais la qualité du produit. Est-ce qu’il s’allume bien? Combien de temps est-il actif»? Michel Samaan annonce un objectif de 20% de charbon réunionnais sur les quelque 200 tonnes qu’il vend annuellement. En évaluant le marché local à 1 000 tonnes (dont 40% sont importés par la centrale d’achat de Vindémia), la part du charbon pays demeurera en deçà des 5% cette année. Une année encore expérimentale qui pourrait bien marquer la renaissance du charbonnage réunionnais.

 

 



La forêt a besoin des charbonniers

Charbonniers-du-Maido 1875

A mille lieues des images de désolation de la déforestation malgache, la forêt réunionnaise, fortement protégée, a besoin de ses charbonniers. Camille Corré se vante d’ailleurs d’être écologiste en évitant l’extension de l’acacia. Sa principale matière première est encore considérée comme une peste de la forêt endémique. Mais son éradication n’est plus du tout d’actualité pour l’Office national des forêts. La priorité «numéro un» au Maïdo consiste à nettoyer les quelque 2 800 hectares ravagés par les incendies de ces dernières années.Et là encore, le charbonnier donne un coup de main inestimable.


«Nous n’avons pas les moyens financiers de régénérer toutes les parcelles de tamarins, indique Pascal Perreard, l’agent patrimonial de l’ONF sur le Maïdo. Alors quand nous vendons une concession à un charbonnier, tout le monde est gagnant. Ça lui coûte moins cher que d’acheter le bois d’énergie à 6,50€ le stère (un mètre cube avec les vides) et il participe à notre travail en préparant les sols.»

Les arbres brûlés menacent de tomber les uns sur les autres et ils constituent déjà une «petite poudrière» qui risque de s’enflammer à tout moment. Les charbonniers jouent donc un rôle de pompier préventif en les évacuant. Pour les aider à pénétrer de plus en plus profondément dans le champ de l’après-incendie, l’ONF dispose cette année d’un budget de 150 000 euros qui servira à ouvrir de nouvelles pistes.


Autonomie en charbon de bois?


Une fois les dégâts de l’incendie nettoyés, les charbonniers auront encore du bois à couper. Et plus particulièrement de l’acacia, le plus dynamique à repousser. L’ancien forestier du Tévelave, Alfred Bertoloti, s’était employé à vanter l’intérêt de cette essence injustement méprisée et avait constaté un réel intérêt des charbonniers pour acheter des concessions. «C’est dommage que La Réunion ne soit pas capable d’être autonome en charbon de bois, déplorait-il. Il suffirait de cultiver les zones où l’acacia s’est installé pour le devenir.»

«Les acacias poussent très vite. En cinq ou six ans, on peut les couper», assure Camille Corré. Au bout d’une quinzaine d’années, ce bois inutilisable pour les constructions présente des sections de 15cm de diamètre, idéales pour en faire du charbon. «L’acacia présente l’avantage de fixer les sols et de les enrichir en azote, ajoute Pascal Perreard. Mais il a l’inconvénient de transformer les forêts en fouillis.» D’où l’intérêt de développer une filière du bois d’énergie.

 

 




 Une coopérative de bûcherons en projet

 

Parallèlement à l’initiative commerciale des Glacières de La Réunion, l’association Citoyens contre le chik (CCC)* s’est elle aussi intéressée à la filière du bois d’énergie. Elle a créé deux Ateliers chantiers d’insertion (ACI) de 12 participants chacun : un pour l’élagage, un autre pour le bûcheronnage. 50% du temps est consacré à la formation et 50% à la production. C’est ce deuxième ACI, créé au début de l’année, qui ambitionne de devenir un acteur de la filière en fournissant les charbonniers, voire en commercialisant des bûchettes.

Charbonniers-du-Maido 1876


 

«Pour l’instant, on appelle les coupeurs de bois, les 0692, en référence à leur numéro de téléphone qui accompagne leurs petites annonces pour vendre du bois, relate Jean-Alain Cadet, le directeur de CCC. Nous pensons qu’il est possible de créer des emplois durables autour d’une activité durable encore sous-exploitée. Nous sommes persuadés que s’il y avait une production structurée de bois, il y aurait des acheteurs.»

D’ici à la fin de l’année, les 12 stagiaires de l’ACI, dont la plupart habitent à proximité de la forêt, devraient décrocher leur diplôme de bûcheron. Ils auront constaté entre-temps si l’ACI a pu développer son activité. «Nous avons le droit de vendre du bois jusqu’à hauteur de 30% de notre budget, et 50% avec une dérogation, remarque Jean-Alain Cadet. Pour pérenniser l’activité de l’ACI à partir de 2014, nous envisageons de créer une SCIC (Société coopérative à intérêt collectif). C’est un concept un peu nouveau qui répond à des objectifs d’intérêt collectif comme la création d’emplois et le développement durable d’une filière. En contrepartie d’aides publiques, la SCIC doit réinjecter au moins 57,7% de ses bénéfices dans son fonctionnement.»

Publié dans Komansava chez vous

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