12 juillet 2008

"J'étais dans l'infanterie"

 

 

   Rifle Gap, Colorado. Retour sur l'Interstate 70, chemin le plus rapide pour nous rapprocher du Pacifique. De cols en tunnels, le large ruban de bitume s'enfonce comme un troupeau de bisons dans la vallée. Nous voilà sur l'axe des chauffeurs de trucks, ces longs et imposants camions à la gueule de lévrier, rutilants comme des voitures de luxe. Leurs chauffeurs ont arpenté tous les états d'Amérique. Les couchers de soleil sur la plaine ne les font plus rêver depuis longtemps. Ils se retrouvent par grappes de quatre autour des tables des restos routiers en se disant qu'on ne peut pas faire ce métier toute sa vie. Pourtant, ils le font. "Tu ne peux même pas t'arrêter, t'offrir un détour parce qu'il faut toujours garder un oeil sur ce p... de camion". Quant aux femmes, n'en parlons pas, elles sont loin ou sur des écrans de jeux pour adultes. On se console comme on peut.

   Une vie de soldat. "J'ai fait la guerre du Vietnam, une vraie sale guerre où j'ai perdu deux copains", raconte Ed en payant son addition avant de rejoindre son Peterbilt 379 qu'il doit amener jusqu'à Los Angeles. Puis, il ajoute : "Mes deux fils sont en Irak. C'est la vie, on n'a pas le choix. Que vouliez-vous qu'on fasse d'autres après les attentats du 11 septembre ? Il ne faut pas laisser les terroristes tranquilles sinon ils se croiront assez forts pour revenir".

   Ce n'est pas parce que Barack Obama a levé le tabou et montré qu'on pouvait être américain tout en s'opposant à l'intervention militaire à Bagdad que toute l'Amérique le suit. On apprend toujours, dès le lycée dans les classes de préparation militaire, Reserve Officers' Training Corps (ROTC), que le pays doit défendre sa liberté l'arme au poing. Et le capitaine Sherven, instructeur ayant servi pendant un an et demi en Irak depuis 2004, a raison de dire : " Chaque jour, les gens viennent à moi pour me remercier. La population, qu'elle soit d'accord ou pas avec l'intervention, nous témoigne plus de respect qu'avant la guerre ". " Les gens apprécient ce que nous avons fait et ce que nous continuons à faire à l'étranger ", renchérit son collègue, le capitaine Tscherne qui s'est battu en Afghanistan.

   La plupart des jeunes militants, dont la candidature de Barack Obama a suscité la vocation, applaudissent sa promesse de faire rentrer les soldats au pays l'année prochaine alors que John Mc Cain estime qu'il faudra attendre cinq ans de plus. Mais la question irakienne ne sera finalement pas aussi déterminante dans le vote de novembre que les préoccupations économiques. Ce n'est pas parce qu'une majorité d'Américains admet aujourd'hui qu'il n'aurait pas fallu y aller qu'elle estime qu'il faut en revenir au plus vite. Au contraire, 60% pensent que l'armée doit s'y maintenir et ils sont de moins en moins nombreux à critiquer les opérations actuelles même si cette guerre coûte 100 milliards de dollars par an. Une estimation moyenne qui varie d'une source à l'autre.

   Informée du caractère grossièrement mensonger des raisons avancées par l'administration Bush pour lancer les hostilités, l'opinion publique américaine sanctionne le président sortant d'un record d'impopularité sans en faire porter la responsabilité à la totalité du camp républicain. La belle affaire puisque Georges Bush le Second ne peut plus se présenter à sa succession. Le questionnement risque fort de s'arrêter là avec ce retour au fatalisme d'une guerre qui n'aurait pas de fin. Et la voix de Vince Emanuele, ce vétéran de la paix qui avait déposé 136 paires de bottes sur les marches du monument central d'Indianapolis en hommage aux soldats morts en Irak, risque de résonner dans le vide.

   Vince avait 23 ans quand deux avions se sont écrasés sur les tours jumelles de New York. Il avait alors été saisi d'un réflexe patriotique qui l'avait conduit à s'engager dans l'armée d'autant plus vite qu'il n'avait pas les moyens de se payer des études supérieures. Il avait vu des jeunes comme lui partir traquer Oussama Ben Laden en Afghanistan et fut fier, deux ans plus tard, d'aller " continuer le boulot " en Irak.

   " J'étais dans l'infanterie, je contrôlais les voitures sur les barrages à la recherche d'explosifs et j'inspectais les immeubles suspects, raconte-t-il. On essuyait constamment des tirs de mortier. Moi qui croyais aller à la rencontre d'un peuple pour le libérer, j'ai vite compris que les Irakiens nous considéraient comme de vrais enfoirés. Il était impossible d'ouvrir le dialogue avec les civils. C'était une situation absurde, il y avait tous les jours des maisons détruites, des victimes chez les civils et je ne me voyais pas aller leur dire que nous ne voulions pas bombarder leur propriété ou tuer leurs amis. Je n'imagine pas combien d'ennemis nous nous sommes créé à cause des opérations de notre armée. Les démocrates comme les républicains veulent continuer la guerre. Cela me brise le coeur. Les hommes politiques de ce pays ne comprennent toujours pas que la principale source de violence en Irak est directement liée à l'occupation américaine ". Barack Obama a bien dit un jour à ce propos: " Je ne suis pas opposé à toutes les guerres, je suis seulement contre les guerres stupides ".

 

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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