Une saison en Obamérique 10

Publié le par Franck Cellier

11 juillet 2008

Ventres à vendre ou à louer

 


   Arapoha Bay, Colorado. Que la montagne est belle ! On ne se lasse pas de la succession de forêts et de torrents où naguère se cachaient les Indiens. Les tunnels et les corniches ont été construits à la pioche, en des temps héroïques. La faune a conservé sa riche diversité. Un loup traverse devant la voiture. Les ours rôdent en quête de nourriture aux abords des campements. Nous voilà sur le rivage du Lake Granby. Ce soir, au coin du  feu, il sera question d'étonnantes histoires de grossesse.

   La loi n'a prévu qu'un semblant de congé maternité de six semaines. Les employées enceintes triment dur jusqu'à la naissance du bébé. Elles ne percevront que la moitié de leur salaire tout en continuant à payer très cher une assurance qui ne remboursera qu'une infime partie des frais médicaux. Donner la vie constitue un lourd investissement et le penchant commercial des maternités ne fait qu'intensifier le stress des futures mamans. "Je préférerais encore accoucher chez moi tranquillement plutôt que d'avoir affaire à un médecin qui regarde sa montre en comptant les minutes, me confiait Luba de la deuxième génération d'une famille ukrainienne installée à Indianapolis. C'est mon premier enfant, je sais que si l'accouchement dure trop longtemps, ils me feront une injection pour gagner du temps. Et ça, je ne le veux pas".

   Mais le plus étonnant en matière de grossesse a été révélé par l'hebdomadaire Newsweek. Les journalistes qui se sont lancés sur le sujet des mères porteuses pensaient que leurs investigations les porteraient vers ces pays déshérités, où l'on trafique des organes, où l'on vend des enfants à adopter et, dans le même ordre d'idées, où l'on sous-traite des grossesses. Mais, rapidement, ils en sont venus à s'intéresser aux mères porteuses "Made in America".

   Ce n'est pas en Inde que les couples européens en recherche d'une mère porteuse se tournent mais bien vers les Etats-Unis. Ce qu'il est impossible d'imaginer en France ou en Allemagne s'organise très professionnellement de l'autre côté de l'Atlantique. Faites-en l'expérience en visitant le site Internet du Centre américain des mères porteuses (The American Surrogacy Center) et vous tomberez sur des annonces de ce type : " J'habite dans le Kansas, j'ai 27 ans et je suis la mère de trois beaux garçons (7 ans, 2 ans et 6 mois) en pleine forme. J'aime être enceinte (...) J'aime aider les couples dans le besoin. Nous aimerions agrandir notre maison mais nous n'en avons pas les moyens. Si vous êtes sérieux, contactez moi sur mon adresse email. J'espère 50 000 dollars. A négocier ".

   Dans un pays où les médecins qui pratiquent des avortements risquent leur peau, des agences ont pignon sur rue pour recruter les candidats à la grossesse par procuration. Si douze états, dont New-York, le New-Jersey et le Michigan, refusent de reconnaître les contrats de mères porteuses, quatre états (le Texas, l'Illinois, l'Utah et la Floride) ont légalisé la pratique et douze autres, dont la Pennsylvanie, le Massachusetts et la Californie lui ont fixé un cadre réglementaire.

   Là où le lobby chrétien dénonce une atteinte au miracle de la vie - au fait, la maman de Jésus n'était-elle pas une mère porteuse à sa façon ? -  les associations féminines les plus radicales traitent les mères porteuses de prostituées parce qu'elle font commerce de leur corps. Les premières intéressées estiment, quant à elles, qu'elles aident leur prochain par un acte porteur de sens et empreint de générosité.

   Accordons-leur le crédit qu'on ne fait pas carrière dans la grossesse et que si les 20 000 dollars, en moyenne, du contrat apportent un bol d'oxygène au budget familial, il est relativement facile de trouver des manières plus conventionnelles pour gagner une telle somme en 9 mois. Le business ne dure qu'un temps et on ne sera finalement pas surpris d'apprendre que le plus gros contingent de mères porteuses américaines vient du rang des femmes de militaires partis guerroyer en Irak ou en Afghanistan.

   L'usage est devenu à ce point accepté dans l'US Army que des publications militaires spécialisées passent régulièrement les publicités des agences de mères porteuses. Prosaïquement, les femmes de militaires présentent le substantiel avantage d'être assurées à taux plein chez Humana, TriWest ou Health Net Federal Services. Les avocats de ces compagnies ont déjà essayé de faire payer les frais médicaux aux clients des mères porteuses. En vain. Il apparaît hélas que les agences soient moins efficaces pour apporter un soutien moral à leurs prestataires qui sont rarement préparées aux difficultés psychologiques d'une telle transaction. Notamment au moment où l'enfant est " confisqué " à une maman pour passer dans les bras d'une autre. Surtout quand cette autre a juste fait appel à une " porteuse " pour ne pas avoir de traces disgracieuses sur son ventre.

 

 

 

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copyright (textes et photos) : Franck Cellier

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